De l'aguillade au satellite
D’ hier à aujourd’hui
« De l’aguillade au satellite »
Nous vivons une époque formidable, où rien ne paraît impossible, où tout est à la portée de chacun. Des méthodes nouvelles et modernes virtuelles (hélas) ou réelles sont mises à notre disposition. Quel que soit son âge on peut aujourd’hui chez soi se documenter, s’informer, se distraire, découvrir le monde et l’univers, par les télévisions, ou par quelques simples clics sur des machines qui participent largement au modernisme de l’époque. On peut se déplacer quand on veut, là où on veut, sans difficultés et sans efforts; une voiture climatisée nous attend devant notre porte pour nous y conduire. Elle peut nous amener tout près d’un TGV qui nous fera traverser la France en moins de temps que ne dure une demi-journée de travail. Elle peut nous conduire aussi au pied d’un avion qui nous fera faire le tour de la planète en quelques heures. Plus de problème pour se parler, un petit appareil qu’on appelle téléphone portable, très souvent pas plus grand qu’une boîte d’allumettes, peut commander aux ondes de transporter notre voix, afin de trouver notre interlocuteur et avec la même rapidité, dans la pièce d’à-côté, ou dans n’importe quel coin du monde. Pour se nourrir, plus de difficulté, celui ou celle qui n’aime pas cuisiner des plats tout prêts les attendent dans les rayons réfrigérés de nos hypermarchés, ou dans des lieux de restauration spécialisés. Pour régler nos factures, nos petites notes, il suffit de mettre une petite carte dans une machine et de taper quatre chiffres. Plus besoin d’argent en poche.
Les exemples de tout ce qui fait notre vie facile sont encore légion mais ceux-ci sont suffisamment parlants pour illustrer le monde dans lequel nous vivons.
Pour les jeunes, et même les moins jeunes, comment imaginer qu’il ait pu exister il y a très peu de temps, avant-hier ou même hier, là où nous vivons, un autre monde, beaucoup plus difficile, mais beaucoup moins virtuel (le mot revient)?
Comment raconter à ces jeunes, sans paraître un primitif, que nous-même, les hommes et les femmes de ma génération, avons connu un monde sans commune mesure, avec cette époque qualifiée de moderne. Il paraît même que ce n’est que le début.
Un proverbe dit « Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient ». Pour nous qui avons commencé notre vie dans les années plus ou moins loin de la dernière guerre, nous savons d’où nous venons. Savons-nous pour autant où va le monde d’aujourd’hui? J’en suis moins sûr.
Aborder ces sujets peut paraître ringard ou passéiste, mais n’est-il pas intéressant de faire revivre quelques-uns de ces souvenirs ? J’ai souvent remarqué que dans les conversations de ceux qui ont connu ces époques, et sans souhaiter bien sûr vouloir y revenir, il existe tout de même une certaine nostalgie. Nostalgie souvent liée à des souvenirs… de toute nature. Certains ajoutent même « nous, nous avons l’expérience, si les nouvelles générations regardaient un tant soit peu ce que nous avons fait…. ». Ne nous faisons pas d’illusion, l’expérience n’est hélas qu’une lanterne qui n’éclaire que le passé. L’expérience fait partie de nos acquis, mais n’essayons pas de la faire partager, il est même inutile d’y penser. Mais de là à ne laisser aucune trace écrite d’une période, encore peu éloignée et tellement différente, serait à mon avis une erreur. Je considère que mon passé, tout comme le passé de tous ceux de nos générations, générations d’après guerre et même un peu avant, font partie de notre patrimoine. Ce patrimoine, en sachant le dater dans le temps, riche quand même de quantité de souvenirs, serait perdu à tout jamais si nous ne savons pas lui donner une existence écrite, tant qu’existent des mémoires vivantes.
Des siècles ont passé sans que jamais dans la vie d’un homme se produisent autant de changements. De la charrue, de la herse parfois en bois, de l’attelage bovin, au tracteur géré par l’électronique, à l’ordinateur, ou au satellite, en un peu plus d’un demi-siècle : quel bouleversement… !
Je ne suis pas sûr que les personnes ayant vécu en ville aient eu conaissance comme nous, dans nos campagnes, de cette métamorphose.
Quand je regarde avec les yeux d’aujourd’hui la campagne de mon enfance, je qualifie cette période de « moyen âge ». Pour la dépeindre auprès de ceux qui ne l’imaginent pas, seulement quelques mots très simples. Rien des commodités que nous utilisons couramment à ce jour, que ça soit dans le travail, dans la maison ou dans les loisirs n’existait.
S’il arrive à quelques jeunes de ce début de vingt-et-unième siècle de lire ces quelques lignes, et pour mieux essayer d’être clair, je leur dirai: « En dehors de la maison d’habitation et de quelques dépendances, on n’avait Rien ». Supposons que d’un seul coup, absolument toutes les commodités, même si elles ne sont pas superflues, disparaissent. Comment pourrait-on vivre ? Cela semble impossible. C’est pourtant comme cela que l’on vivait, à la campagne, dans les années de ma jeunesse.
Les maisons, à quelques exceptions près, avaient très souvent encore des pièces en terre battue et le nombre de chambres ne correspondait pas toujours au nombre de personnes qui devaient s’y loger. Plusieurs enfants dormaient dans la même.
L’électricité venait tout juste de faire son apparition et le nombre de lampes allumées n’avait rien de comparable, ni en quantité ni en qualité, avec ce que nous pouvons voir, le soir, quand nous traversons nos campagnes.
Il fallait travailler dur dans les champs pour assurer tant bien que mal le quotidien. La maladie pouvait ruiner une famille, la MSA tant décriée par nous tous quand nous devons payer nos cotisations n’existait pas. Certains, là où la maladie s’acharnait, devaient parfois vendre des parcelles de terre pour payer les crédits chez le médecin et le pharmacien.
Les femmes étaient aux champs. Elles devaient rentrer un peu plus tôt que les hommes pour allumer le feu de bois, même l’été quand il faisait bien chaud, afin de préparer le repas. Les appareils électriques ou à gaz n’existaient pas, les frigidaires et encore moins les congélateurs non plus. Seules les conserves du cochon que l’on cuisinait l’hiver, avec les conserves de quelques oies grasses, qu’il fallait gaver au moins trois semaines, trois fois par jour, plus la volaille et les légumes du jardin permettaient toute l’année de nourrir la famille. La viande du boucher c’était pour les jours de fête.
Quand la femme ne travaillait pas au champ, c’est qu’elle était retenue à la maison par les différents travaux du ménage, la lessive en particulier était le plus pénible. L’existence éventuelle d’une machine pour laver le linge ne frôlait même pas l’esprit. Les grandes lessives se faisaient au lavoir, quand il y avait de l’eau et un lavoir à proximité, sinon c’était au ruisseau, très souvent assez éloigné de la maison.
En lisant ces évocations on pourrait se demander « mais quel était donc le temps réservé aux enfants ? ». Il fallait beaucoup d’organisation et de travail pour que les mamans puissent être au champ, à la cuisine, aux tâches ménagères et s’occuper des enfants. Même si l’enfant a toujours été au centre des préoccupations, il y avait moins d’enfants rois qu’à ce jour. Très peu ou personne ne choisissait ses vêtements en fonction de la mode et des marques…..et on allait à l’école à pied avec le sac sur le dos. L’essentiel était de se nourrir le mieux possible, d’être habillé le plus correctement possible, d’étudier à l’école communale et de participer pendant les vacances aux travaux les plus légers de la ferme. Après le Certificat d’Etudes, la direction du lycée n’intéressait que très peu de jeunes et surtout de parents. Le travail sur la ferme commençait dès la fin des études primaires, l’école de la vie se chargeait du complément. Malgré ce peu d’études, avec beaucoup de volonté et de travail personnel, il était quand même possible d’arriver à pouvoir prendre des responsabilités différentes dans la société, sans être montré du doigt pour incompétence et sans faillir à ses engagements, beaucoup l’ont démontré. Ceci prouvait aussi combien était sérieux et adapté l’enseignement primaire. «Pour la petite histoire, quand j’étais dans mon école, classe unique, nous étions jusqu'à 42 élèves. »
Autre handicap de cette époque: le peu de moyens dont on disposait pour se déplacer. Le vélo était roi, la voiture automobile n’était qu’un rêve et chacun pensait bien que ce rêve ne deviendrait jamais réalité.
Lorsqu' on avait besoin d’un médecin, il fallait aller à vélo le chercher, quel que soit le temps, le téléphone n’existait pas. Quand le médecin était passé il fallait repartir chercher les médicaments, toujours à vélo et quel que soit le temps. Je comprends que les jeunes d’aujourd’hui aient du mal à comprendre et à intégrer cette réalité qui les dépasse.
Là ou j’habite et à l’époque de ma jeunesse, alors que la population était beaucoup plus importante, deux médecins soignaient tous les malades et ils faisaient les accouchements. A ce jour pour une population inférieure en nombre il y en a cinq et les salles d’attentes sont pleines, ceci pose réflexion… !
A cette époque le téléphone n’était pas arrivé jusqu’à nous, les différents médias, à l’exception de quelques postes de TSF (c’était l’appellation de l’époque), existaient ici ou là. Les personnes d’un même quartier se regroupaient souvent le soir « pour aller écouter le poste » chez ceux qui en disposait. La télévision n’était même pas un instrument désiré puisqu’on ne connaissait pas son existence.
A partir de ces évocations on pourrait penser que la vie dans nos campagnes était inacceptable.
Non, la vie dans nos campagnes était vécue comme une vie normale, puisque nous n’avions pas connu autre chose.
Malgré tous ces aspects qui peuvent paraître dater de bien plus longtemps, il y avait dans nos campagnes, à certains moments de l’année, lors de lourds travaux (moisson, battage des céréales, ramassage et épouillage du maïs et autres) une vie communautaire faite de solidarités. Ces gros travaux ne pouvaient s’effectuer qu’avec plusieurs personnes en même temps. Les voisins s’organisaient en se rendant chez les uns et chez les autres à tour de rôle, pour aider à effectuer ces travaux. Ceci n’était pas une contrainte, car dans ce travail en commun il y avait toujours une excellente ambiance et en fin de journée, au moment du repas, une note festive faisait oublier la pénibilité de la journée. Le travail de cette époque était parfois dur puisque tout ou presque se faisait à la main, mais l’esprit que chacun consacrait au travail n’était pas encombré, contrairement au temps présent, par des soucis administratifs, d’échéances bancaires ou autres…… ! Tout ce travail ne laissait en fin d’exercice que des revenus limités, mais ces revenus n’étaient jamais impactés par de gros investissements ni par des remboursements d’emprunts. Ces revenus étaient modestes certes, mais réels; le virtuel, on ne connaissait pas à l’époque. Ils étaient encore plus modestes pour un exploitant métayer, puisque les récoltes étaient partagées entre le propriétaire et l’exploitant. Le surendettement ne perturbait pas l’ambiance de nos campagnes. A cette époque on ne voulait pas tout, tout de suite. On achetait lorsque le travail avait permis de mettre de côté les disponibilités nécessaires. Ceci donnait au travail un intérêt particulier. On travaillait pour moderniser son quotidien dès qu’on le pouvait et non pour rembourser ses dures mensualités… !
Un moment particulièrement festif était « La fête des voisins » à l’occasion de la « pellère ». C’était le jour, au cours du mois de janvier, où on tuait le cochon pour le mettre en conserve. La journée commençait le matin par le sacrifice de l’animal, ce « travail » durait pour les hommes jusqu'à midi. Pendant que les hommes terminaient leur besogne, les femmes avaient commencé le leur, c'est-à-dire qu’elles lavaient les boyaux et faisaient cuire la viande pour garnir les boudins. Pendant ce temps les cuisinières s’activaient aux fourneaux.
Vers treize heures tout le monde (souvent plus de vingt personnes) se retrouvait à table pour un succulent et copieux repas. Après ce moment agréable chacun allait chez soi donner le repas aux animaux et revenait pour jouer des parties de cartes. Ceci prenait fin en principe vers minuit, ou plus tard…, suivant les différents contextes du moment…. C’était une journée bien remplie et surtout qui n’était pas dépourvue d’une chaude ambiance. Quelques jours plus tard, la fête était chez un autre voisin et se renouvelait de cette façon-là une dizaine de fois. C’était un plaisir pour celui qui y venait, mais un sacré travail pour celui qui recevait. Mais c’était chacun son tour.
Dans l’évocation du temps passé j’ai consacré une grande partie de mon propos à l’activité du travail. La question qui me paraît intéressante de traiter est l’aspect divertissement, plus particulièrement pour les jeunes.
Dans ce domaine aussi tout était bien différent. Pas de voitures, seul le vélo, il ne nous permettait pas de faire de grands déplacements. Le sport était peu développé dans nos régions. Seules les fêtes locales et les bals organisés à l’occasion des différentes manifestations permettaient aux jeunes de se rencontrer. Les animations dansantes étaient très différentes de ce que nous connaissons actuellement. Pas de « disco », chaque fête était animée par un orchestre de quatre ou cinq musiciens et nous allions dans les bals pour « danser… ». Les fêtes de village commençaient le dimanche à midi jusqu’au lundi soir .Elles avaient un caractère très particulier, elles permettaient aux familles de retrouver leurs invités: parents et amis. Ceux qui venaient aussi danser, jeunes et moins jeunes, compte tenu du peu de moyens de transport, venaient plus particulièrement des villages voisins et de ce fait tout le monde se connaissait, ou presque, ce qui donnait une ambiance grande famille. La consommation d’alcool était limitée, ce n’était pas dans les habitudes de l’époque et elle était limitée aussi par le manque de disponibilités financières. On allait à la fête pour danser et non pour boire. Les rencontres filles et garçons étaient bien différentes, il y avait moins de « zapping ».Ces rencontres préparaient parfois à un mariage, ce qui était aussi l’occasion d’une grande fête.
Je crois que le plus grand nombre de ceux qui ont connu ces ambiances en ont gardé une certaine nostalgie, surtout quand on voit comment dérivent aujourd’hui ces rassemblements.
Cette période de laquelle j’ai retracé quelques aspects était une période dure, l’effort physique était le lot quotidien de chacun. Mais comme chacun y était habitué, ceci paraissait normal. La résistance physique et psychique s’en trouvait renforcée. Pour revenir à ce que je disais précédemment, et peut-être pour ces raisons, deux médecins suffisaient pour soigner toute une population… !
Cette période a vécu, elle ne reviendra pas (en principe), plus personne n’y serait préparé et elle ferait très mal.
Mon propos n’a pour objectif que de laisser, par quelques faits brièvement résumés et pour ceux que cela peut intéresser, un résumé très succinct d’une certaine forme de vie dans nos campagnes, il y a seulement quelques (peu d’) années. Il peut démontrer aussi la vitesse à laquelle va la transformation de la société.
La vitesse est grisante, saurons-nous freiner à temps …. ?
Raoul Massetat